– Hugues Lapaire –
(1869-1967), poète, romancier,
conteur et critique littéraire berrichon
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« Ce qui frappe le voyageur lorsqu’il traverse la région berrichonne, c’est la physionomie agreste et bien française de ce pays, l’impression de paix qui s’en dégage. Prairies, vallons, vergers, collines aux flancs desquelles la vigne s’étire , herbages de Germigny, bocages du Boischaut, traînes verdoyantes où cheminent avec leurs moutons les Fadettes qui ne filent plus ; tout y est mesuré, varié, calme, reposant. les toits bas ou pointus des village se pressent autour des petites églises romanes. Les métairies s’endorment sous les noyers. Les rivières poursuivent leur cours paisible et ombragé comme l’Indre, clair et tumultueux comme la Creuse, indolent ou torrentiel comme le Cher…
Les champs sont clos de haires vives au milieu desquelles surgissent la quenouille géante d’un peuplier, le dos trapu d’un chêne et les têtaux funèbres qui, dans le suaire bleu que leur tisse la lune, prennent le soir des apparences de fantômes…
Ainsi, des sables granitiques de l Sologne aux horizons romantiques de la Creuse, le pays Berriaud, que la Loire cherche à enlacer de sa souple ceinture, s’offre à nos yeux comme une terre d’églogues…
Le paysan d’aujourd’hui n’a plus cette répugnance pour le progrès que nous constations quelques années encore avant 1914. Il remplace le labourage avec les bœufs par les tracteurs mécaniques, la faucille par la moissonneuse ; il améliore ses terres par les engrais chimiques, il sélectionne son bétail et, dans l maison, la machine à coudre à supplanté l’aiguille.
Malheureusement, ceci à tué cela : les travaux de dentelles, les broderies de coiffes qu’accomplissaient les mains des femmes pendant les veillées de l’hiver, l’art du fil, cet art gracieux a complètement disparu.
On n’entend plus dans nos plaines le briolage, la cantilène du laboureur. La bourrée, qu’applaudirent les mains illustres qui signèrent « François le Champi », est délissé pour d’absurdes contredanses. La vielle et la cornemuse cèdent le pas à al clarinette et au piston, et la guirlande fleurie de nos chansons, de nos légendes s’effeuille au vent de la civilisation qui emportera bientôt la dernière coiffe de Claudie ! Ainsi, de cette province qui demeura avec la Bretagne le pays le plus « conservé », vont se perdant coutumes et traditions qui semblaient indestructibles comme les grands dolmens.
Certes, les temps sont bien éloignés où nos Berrichons se rendaient aux foires et aux noces, montés sur de lourds chevaux de domaines avec leurs femmes en croupes…
Quelques vielles portent encore « la capiche », grande mante noire à longs plis, avec capuchon, le « bonnet à grimaces », et la pointe au fichu à fleurs, mais les jeunes filles ne se parent plus des costumes abolis. Ce n’est guère qu’aux fêtes locales ou régionalistes qu’elles daignent aborder la coiffe carrée de La Châtre, le bonnet brodé de Saint-Amand qui encadrent leur frais visage comme la guimpe des vierges de la Renaissance ».

