Textes et photos © Muriel Azemard

Le concept qui vous fait voyager en Berry Roman par le site Berry Au Cœur de France, est celui essentiellement de tracer la route – à vélo – mes propres itinéraires en électron libre, puis mettre l’accent sur les trésors de ce patrimoine : historique, architectural, artistique, en vous les révélant tels que je les découvre lors de mes nombreuses pérégrinations, déambulations au cœur de nos sanctuaires romans berrichons.
Avec grand plaisir, je vous emmène à St-Martin d’Ardentes.

Si l’on observe les deux colonnes qui encadrent l’entrée du transept de St-Martin, on découvre qu’elles n’ont aucune fonction architecturale, elles ne soutiennent aucun arc. Est-il possible qu’un bâtisseur roman ait pu se casser la tête pour édifier deux colonnes dans un endroit aussi en vue de l’église, si elles sont inutiles ? Vous n’y croyez pas, moi non plus ! Si elles n’ont aucun rôle architectural, il se pourrait bien qu’elles en aient un de tout symbolique et de fait, qu’elles marquent un endroit précis du sanctuaire Indrien.

Symboliquement parlant, ne serait-pas pour marquer le passage d’un état à un autre ? Par exemple, comme nous le rencontrons parfois, comme séparation entre l’Ancien Testament et les Évangiles… En fait, les colonnes d’Ardentes marquent bien le passage d’un lieu à un autre, entre deux colonnes il ne peut y avoir qu’une porte. C’est bien le passage entre  l’espace profane (la nef de l’église) et l’espace sacré (le chœur). Il existe ce type de symbole dans telle ou telle autre église en Berry. On n’a jamais fini de découvrir notre patrimoine ! Il me reste à interpréter les chapiteaux qui couronnent les colonnes dudit Temple.

Les colonnes traduisent un cheminement vers l’Éveil. Deux colonnes marquant, comme à Ardentes, l’entrée du temple, ou bien l’entrée du chœur, ne sont jamais « des colonnes qui ne servent à rien », mais qui au contraire, rapprochent d’une réalité dans les deux colonnes qui structurent, qui appuient… Appuient quoi ? LE message à la lumière du symbole, qui n’est pas unilatéral et provient du divin pour interpeler l’humain « Ici, vous pénétrez dans le Temple« .

Nous pouvons donc, de même, nous servir de ce visuel pour nous rapprocher d’une réalité intérieure : le passage initiatique, d’un lieu profane à un lieu saint chaque fois qu’il nous est donné l’idée du Temple.

La façon de rencontrer les deux colonnes d’Ardentes, de fait l’entrée d’un temple, est selon moi une relation logique à toute initiation. Ici, tout dépend de l’état intérieur et des pensées de celle, de celui qui s’en approche, quelque soit le motif. Je trouve pour ma part important de rencontrer ce Temple. Nous somme bien en présence d’un symbole universel et sacré, qui n’est pas connu seulement de la tradition maçonnique. La première image qu’il me vient à l’esprit (chacun à les siennes) est le Temple de Jérusalem bien sûr, l’une des plus grandes réalisations du roi Salomon. Cet édifice grandiose abrita l’arche d’Alliance, ainsi qu’un imposant autel en bronze qui se voua à des rituels et autres sacrifices (sacrifice : rendre sacré). Et à l’intérieur du Temple, un sanctuaire plus petit baptisé « Le saint des saints ».

Les colonnes sont le rappel des colonnes du Temple de Salomon. Un « symbole » complètement universel, dont nous parle l’Ancien Testament et repris bien évidemment par la tradition maçonnique. Les deux colonnes portent un nom, celle de droite c’est Jakin ou Yakin (avec un hein !!) celle de gauche est Boaz. Partant de là, il sera intéressant, amis et visiteurs, que vous examiniez attentivement, comme je le fis, les chapiteaux qui surmontent chacune des colonnes, et de tenter de les interpréter.

Une remarque toutefois, ces colonnes du Temple – si facilement identifiables ici – sont nombreuses en Auvergne, Notre Dame du Port, et Champeix sont les deux que je connais le mieux mais il y en a beaucoup d’autres. Par contre en Berry, je ne suis pas très loin de penser que l’église St-Martin d’Ardentes est un cas unique, mais j’aimerais tant être contredite… 😉

Êtes-vous allez, vous aussi, à Notre Dame du Port à Clermont-Ferrand, et avez-vous observé le même phénomène dans la nef de l’église phare de l’Art Roman auvergnat ? Si c’est le cas, vous pourriez-peut-être en parler sous l’article, n’est-ce pas les amis !


L’interprétation
Ardentes

Dès les premières minutes depuis la nef, en faisant un plongé de regard assez loin de celle-ci, on reste quelque peu surpris de ce grand ensemble tirant sur une blancheur de pierre, via la restauration complète de l’église romane intervenue vers 1990. De fait, nous sommes en présence d’un intérieur réellement lumineux.

En privilégiant (si possible) le contexte et l’observation !! Au fil de mes années romanes (2011 – 2019), j’a appris à me méfier d’interprétations trop généralistes qui nous éloignent de notre Berry, à plus forte raison lorsqu’il est Roman.

Je commençais par le chapiteau de gauche

À gauche pour quelqu’un qui regarde vers l’est (le fond de l’église). Ce chapiteau est celui qui est au Nord. Le Nord c’est le côté sombre de l’église, celui où le Soleil pénètre le moins. Mais attention à cette époque, en hiver ou presque, période de Soleil bas, le matin, le Soleil s’y attarde beaucoup plus qu’en été (période de Soleil haut). Vous me suivez ? Parfait !

Je voulais dire simplement qu’il est important pour l’interprétation, d’observer le parcours des rayons solaires à l’intérieur de l’église, cela en fonction des saisons. Ne croyez surtout pas que le constructeur n’en a pas tenu compte lors de son choix de l’orientation et de la disposition des ouvertures.

Le chapiteau Nord, la tradition le nomme Boaz. Il est en analogie directe à l’élément d’essence Lunaire, soit féminine. On remarque au centre deux êtres fabuleux qui ne sont pas des sirènes marines mais des harpies. Dans les angles du chapiteau, des bustes plutôt féminins (des protomes) plus ou moins coiffés d’une coque de feuillage. J’ai joint à ma photo deux marques noires sur celles-ci,, pour que vous les distinguiez un peu plus facilement. Le thème est classique en Berry Roman.
On remarque également que la symétrie, si chère aux artistes romans, n’est pas entièrement respectée : cherchez l’erreur… La dissymétrie cache bien souvent l’une des clés d’interprétation.


Je passe au chapiteau de droite

C’est celui qui est au Sud, côté solaire… La tradition le nomme Jakin (ou Yakin). Il correspond à l’élément masculin, ou solaire. C’est le cracheur de liens végétaux, au visage incontestablement masculin. On peut ouvrir une parenthèse pour dire qu’on trouve le même type à Ineuil, à Bommiers et sans doute ailleurs dans des églises qui appartiennent au patronat de l’abbaye de Déols.

Il crache ses liens végétaux par la bouche et vers le bas …. Peut-on considérer que les restes de polychromie sont d’origine ? Si la réponse est oui, son aspect solaire est évident. Mais surtout, dans le coin supérieur gauche du chapiteau, on aperçoit une grenade. Là ça devient intéressant !

Continuons sur ce thème en parlant des liens qui sortent de la bouche et se dirigent vers le bas : le Verbe bien sur qui s’adresse naturellement à ceux qui se tiennent en bas, autrement dit aux fidèles. On est à Ardentes, il faut le rappeler car depuis le temps certains risquent d’avoir oublié, l’église appartenait à l’abbaye de Déols dont les moines la desservaient, elle est dédiée à St- Martin. 

On aura remarqué la grenade dans un angle du chapiteau et les poissons (des saumons ?) sur le tailloir. Bel ensemble où l’on retrouve de belles bribes de la spiritualité de la Réforme Grégorienne. Rien d’étonnant, en ce qui concerne les moines de Déols, à qui l’église que je vous présente ici, fut rattachée. Il n’y a aucun doute sur les saumons de la Connaissance et il se pourrait également que le chapiteau Nord évoque le passage d’un état à un autre, l’initiation ou la conversion, les deux bustes d’angle étant différends. Encore la spiritualité Grégorienne.

Au plan purement histoire de l’art, on voit bien que ce chapiteau est parfaitement symétrique et on sait, c’est quasiment une règle, que les sculpteurs romans se plaisaient à rompre cette symétrie au niveau d’un détail, mais cette explication est sans doute insuffisante.

Sur la grenade, on pourrait bien sur en dire long, c’est un symbole présent de haute antiquité dans de nombreuses traditions orientales. C’est en particulier le fruit de Cybèle, qui sera fécondée après avoir posé une grenade sur son ventre. La grenade est toujours liée au sang, à la vie et à la fécondité. Le Christianisme va re utiliser le symbole de ce fruit à la pulpe rouge sang et aux grains serrés et très nombreux, pour en faire le symbole de l’unité des croyants dans le sang du Christ ou plus simplement le symbole de l’Église (l’ecclésia).

C’est sans doute cela le plus important dans le contexte de l’époque : l’application en Berry de la Réforme Grégorienne. On sait que les moines de Déols étaient des artisans zélés. Quand on sait également que la vaste abbayes a édifiée une large majorité des églises romanes berrichonnes à partir de 1070, il est difficile, voire même incongru, de chercher des éléments d’interprétation  sans se référer à la spiritualité grégorienne.

4 réponses sur « Des colonnes qui ne servent à rien ? »

  1. Bonjour Muriel,

    Merci beaucoup pour ce bel et passionnant article, très argumenté comme chaque fois sur votre blog. Quel beau dimanche de lecture vous nous offrez, venu lire après avoir reçu l’email de nouveaux articles!

    Mille mercis, beau dimanche à vous.

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  2. En art roman, il y a de nombreuses sirènes. L’église que vous présentez Muriel, a été pour moi une très belle visite faite sur votre site, très intéressante. J’irais bien la voir cet été si nous le pouvons, étant du Cantal. Je vous envoi mon mail.
    Amitiés.

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  3. Superbe église de l’Indre que nous avons visité plusieurs fois, dommage de ne pas avoir eu avant vos très bel article Muriel, nous l’avons visité à coup sûr d’une autre façon.
    Merci beaucoup d’ailleurs pour vos superbes découvertes et chapitres du Berry roman. Magnifiques photos.

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  4. Je vois que tu continues à ouvrir de larges horizons à tes lecteurs et amis. C’est franchement très intéressant. Je n’y suis pas allé, elle est pourtant très belles cette église romane de l’Indre, Muriel !

    Merci !

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